ITINÉRANCE : 1900 places et NON 1900 personnes couchées
Les grands froids québécois de ce mois de janvier frôlent les -40 degrés; typiques de nos beaux hivers. Mais voilà des conditions insoutenables pour les personnes en état d’itinérance. Et cet hiver, l’itinérance fait face à une crise humanitaire sans précédent.
En réponse à cette crise, la mairesse de Montréal, Madame Valérie Plante, porteuse des chiffres transmis par le Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, a réitéré dans son point de presse de jeudi dernier que la métropole avait assez de places d’urgence – 1900 – pour accueillir les personnes itinérantes.
Et elle a raison.
Il y a effectivement 1900 places à Montréal.
Alors pourquoi, s’il y a assez de places, en sommes-nous rendu à l’ouverture de stations de métro en ultime solution à un problème qui reste profondément humain, médical et sociétal? Un problème résultant de la mécompréhension des causes intrinsèques à l’état d’itinérance.
Et pourquoi les organismes communautaires, dont nous, La rue des Femmes, infirmons ces chiffres qui ne correspondent pas à la réalité terrain vécue jour après jour?
Parce que nous aussi, avons raison… ou… avons plusieurs raisons. Parce qu’il ne s’agit pas de places, mais de personnes. Dénoncer, oui. Expliquer, oui. Comprendre, une nécessité pour rectifier le tir… pour prévenir et éviter d’autres drames; car l’hiver prochain… l’hiver reviendra.
1900 places, oui mais :
1900 moins les effets de la pandémie et des mesures sanitaires qui ont nécessité la fermeture d’une très grande partie de ces lits : oserais-je dire presque la moitié? À défaut de pouvoir modifier nos structures, il a fallu réduire l’offre de services.
1900 moins la réalité des hébergements en éclosion, forcés de fermer, telle une ritournelle, diminuant encore l’offre de places, sans préavis.
1900 moins l’adaptation causale entre des équipes fragilisées et réduites en raison de quarantaine et le nombre d’admissions possibles; parce que les valeurs nobles, raisons d’être du communautaire, ne nous protègent pas contre la Covid ni de ses effets. Ainsi, à La rue des Femmes, plus de 25% de nos travailleuses sont en arrêt; compromettant le nombre de nos lits d’urgence à n’importe quel moment.
1900 moins cette tendance, depuis quelques années, à utiliser des lits dédiés à l’hébergement d’urgence pour les transformer en hébergement de transition. Les bases de l’hébergement d’urgence, donc de l’hébergement humanitaire, sont la gratuité, sans contrainte, l’anonymat, la confidentialité et pour une nuit, CETTE nuit. Quant à lui, l’hébergement de transition vise une durée de quelques mois, moyennant le paiement d’un loyer, et vise un objectif à moyen terme, quel qu’il soit. Mais le vital besoin de lits d’urgence reste… et est essentiel.
Donc oui, 1900 places pour les personnes en état d’itinérance… moins celles fermées par les mesures sanitaires, moins celles occupées par des programmes de transition, moins celles fermées par les éclosions et/ou le manque d’employé.e.s… Combien de lits d’urgence accessibles reste-t-il réellement? Combien de personnes en état d’itinérance sont couchées dans une de ces places CETTE nuit?
Là est le vrai débat, un débat qui parle de personnes, d’histoires et de souffrances de vie, et non de places. Sortons de la validité des 1900 places. L’urgence… si bien nommée, est de reconnaitre la validité des lits vides ou utilisés à d’autres fins qu’à leur vocation initiale. Là est le besoin, afin de permettre à tous et toutes d’être au chaud et en sécurité ce soir. Et tous les autres soirs. Ouvrir les stations de métro en guise d’hébergement d’urgence confirme le questionnement et la réflexion.
Et humainement, pour sortir des chiffres politiques: combien de personnes en état d’itinérance sont dehors, jour et nuit, sans pouvoir avoir accès à un de ces 1900 lits?
Léonie Couture, C.M., C.Q.
Présidente fondatrice de La rue des Femmes